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Le traité de l'Élysée

Publié le par Felli Bernard

22 janvier 1963

Le traité de l'Élysée

 

Le 22 janvier 1963, le traité d'amitié franco-allemand, signé au palais de l'Élysée, à Paris, consacre le rapprochement des deux anciens ennemis. Il est signé par Charles de Gaulle (72 ans), président de la République française, et Konrad Adenauer (87 ans), chancelier de la République fédérale allemande.

Sa valeur est essentiellement symbolique. Il clôt près d’un siècle de rivalités diplomatiques et surtout guerrières et institue une nouvelle forme de concertation à la tête de la Communauté économique européenne, qui deviendra trente ans plus tard l’Union européenne. 

Mais le traité est vidé de son contenu par le préambule unilatéralement voté par le Bundestag, le 15 juin 1963 : les députés allemands réaffirment à cette occasion leur lien avec les États-Unis et le Royaume-Uni, à la grande colère de De Gaulle, qui voit réduite à néant son aspiration à une Europe indépendante...

Alban Dignat
De Gaulle et Adenauer à l'Elysée le 22 janvier 1963
Communauté d’intérêts

Si Konrad Adenauer n’a jamais eu à porter les armes, il n’en va pas de même de son interlocuteur qui, lui, a combattu l’Allemagne pendant les deux guerres mondiales en tant qu’officier. Cela mis à part, les deux signataires du traité de l’Élysée partagent les mêmes convictions et se sont illustrés avec la même obstination dans la lutte contre le nazisme.

De Gaulle est issu de la bourgeoisie catholique de Lille et Adenauer de la bourgeoisie catholique de Cologne. Le premier a mis en place la Ve République en 1958 ; le second a porté la République fédérale allemande sur les fonts baptismaux et en est devenu le premier chancelier le 15 septembre 1949.

Peu après, il se hasarda à proposer à la France une union politique de leurs deux pays et de Gaulle fut l’un des rares dirigeants français à l’appuyer.

Dès son retour aux affaires, le Général reprend contact avec le chancelier et l’invite à La Boisserie, sa résidence familiale à Colombey-les-deux-Églises (Haute-Marne), le 14 septembre 1958.

Pour l’anecdote, on rappelle que l’escorte allemande est arrivée avec plusieurs heures de retard, les guides s’étant mépris sur la localisation du village. Qu’à cela ne tienne, à son arrivée, le chancelier, tout sourire, offre à Yvonne de Gaulle, l’épouse du président, une belle vierge en bois en style gothique flamboyant. Il signifie par ce cadeau à la maîtresse de maison que sa visite est d’ordre amical et non officiel.

C’est ensuite de façon très officielle que les deux dirigeants se rencontrent à Reims, le 8 juillet 1962. Dans la cathédrale Notre-Dame, qui garde les cicatrices de la Grande Guerre et des bombardements allemands, les deux hommes assistent côte à côte, pieusement, à un Te Deum (une messe solennelle). L’événement ne manque pas d’allure.

En retour, le général de Gaulle se rend deux mois plus tard en Allemagne où il est accueilli par des foules en liesse. Son voyage débute à Bonn, la capitale fédérale, sur le Rhin. Il se termine le 9 septembre, au château de Ludwigsburg, par un discours devant la jeunesse allemande que le Général prononce en allemand après l’avoir appris par cœur ! À cette occasion, le chancelier suggère à son ami de renforcer leurs liens par un traité formel. De Gaulle se laisse convaincre bien qu’en bon connaisseur de l’Histoire, il n’accorde pas grande valeur à ce genre de document.

Engagement symbolique et trahison allemande

C’est ainsi qu’est organisée la rencontre de l’Élysée.

Le texte du traité ne contient aucun engagement contraignant, simplement des engagements réciproques, en premier lieu celui d’une rencontre des chefs d’État et de gouvernement au moins deux fois par an. Cet engagement sera scrupuleusement respecté et facilitera le dialogue entre les deux principales puissances du continent.

Pour le reste, le traité débouche principalement sur la mise en place d’un Office franco-allemand pour la jeunesse destiné à faciliter les rencontres et les échanges par-dessus la frontière. Rapidement apparaissent les limites de l’exercice. C’est que l’Allemagne fédérale, viscéralement pro-américaine et hostile à l’Union soviétique, ne tolère pas les velléités neutralistes du général de Gaulle.

Toutefois, à l’heure de ratifier le traité, le 15 juin 1963, les députés allemands du Bundestag lui ajoutent un préambule « assassin » qui rappelle leur objectifs primordiaux : « une association étroite entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique » et une unification de l’Europe « en y associant le Royaume-Uni ». De Gaulle fulmine. Il se voit trahi.

Un héritage flageolant

En matière de diplomatie, de défense et d’aide au développement, les deux signataires du traité de l’Élysée ne vont dès lors cesser de faire cavalier seul voire de s’opposer frontalement. C'est le cas dans la guerre de Yougoslavie, Berlin prenant le parti de Zagreb et Paris celui de Belgrade, comme, plus récemment, dans la guerre de Libye. Ca l’est encore et toujours dans la dissuasion nucléaire etc.

Les relations entre le successeur de De Gaulle, Georges Pompidou, et le chancelier Willy Brandt manquent indéniablement de chaleur même s'ils lancent ensemble de grands projets industriels, à commencer par Airbus. Il n’en va pas de même entre Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, unis par les mêmes convictions libérales et un grand détachement à l’égard des gestes historiques. Ensemble ils parrainent le système monétaire européen, précurseur de la monnaie unique, et l'élection du Parlement européen au suffrage universel.

Les circonstances - une ultime relance de la « guerre froide » et la fin de l’Union soviétique – conduisent François Mitterrand et Helmut Kohl à un rapprochement très étroit, jusqu’à se tenir la main devant le monument aux morts de Douaumont en 1984.

Notons un geste symbolique fort avec la création d’une brigade franco-allemande le 12 janvier 1989, avec 5 000 hommes établis des deux côtés de la frontière, qui auront l’occasion de participer au maintien de la paix à Sarajevo en 1996. Enfin, la mise en route du traité de Maastricht et le sacrifice du Deutsche mark sur l’autel de la monnaie unique.

On ne retrouve plus la même chaleur entre Jacques Chirac et Gerhard Schröder même si les deux hommes apprécient de souvent se retrouver dans une bonne brasserie alsacienne. Quant aux rapports entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ils sont teintés de la méfiance de la seconde pour l’agitation permanente du premier. Les deux dirigeants arrivent néanmoins à surmonter ensemble la crise financière de 2008.

Mais déjà se profile un changement de ton. L’Allemagne réunifiée, qui n’est plus un nain politique mais est toujours un géant économique, se rend compte qu’elle ne joue plus tout à fait dans la même catégorie que la France. Tandis que cette dernière reste tournée vers le sud et absorbée par ses problèmes sociaux, l’Allemagne, elle, trouve toujours plus de séduction à ses voisins de l’Est qui lui offrent, à défaut de marchés, une main-d'oeuvre docile.

Publié ou mis à jour le : 2017-01-26 15:20:52

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