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[Reprise] Quatre mois après Maïdan, les promesses non tenues de la révolution ukrainienne

Publié le par Felli Bernard

OLIVIER BERRUYER
OLIVIER BERRUYER

14

août

2014

[Reprise] Quatre mois après Maïdan, les promesses non tenues de la révolution ukrainienne

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Reprise d’un article du Monde

Selon son propre mot, Tetiana Tchornovol est une « star » de la révolution ukrainienne. De ses heures sombres, comme ce 25 décembre 2013 où cette journaliste spécialiste des affaires de corruption fut retrouvée dans un fossé, passée à tabac sur une route des environs de Kiev pour avoir publié, quelques heures plus tôt, des photos de la luxueuse résidence du ministre de l’intérieur d’alors. Star, elle le fut aussi après la fuite du président Viktor Ianoukovitch. Le 22 février, la foule de Maïdan acclamait le nom de la nouvelle responsable du « comité national de lutte contre la corruption ».

Aujourd’hui, Mme Tchornovol est une fonctionnaire perdue dans les rouages de l’administration, sans équipe, sans pouvoirs réels, démunie face au « dragon » de la corruption et critiquée par ses anciens camarades. Elle travaille sur la liquidation des avoirs du clan Ianoukovitch, notamment d’immenses stocks d’hydrocarbures. La jeune femme a lutté pied à pied avec ses interlocuteurs du ministère de la justice pour préparer un projet de loi chargeant l’Etat de liquider les stocks. Pour, finalement, découvrir que l’un des vice-ministres, déjà en poste sous la présidence précédente, avait modifié le texte et offert à des entreprises le soin de mener la transaction.

« VOLONTÉ POLITIQUE »

« Tout en haut de l’échelle, la volonté politique est là, mais beaucoup de fonctionnaires et de politiques sont restés en place, témoigne Mme Tchornovol. Les anciens schémas de corruption, surtout, perdurent, même si la voracité n’a plus rien à voir avec l’époque Ianoukovitch. Il faudrait remplacer les hommes, mais où trouver les personnes assez expérimentées pour leur succéder ? Quant à la corruption, elle profite à trop de monde, y compris au sein du nouveau pouvoir. »

Remplacer, c’est l’obsession d’un autre comité installé dans l’euphorie post-révolutionnaire : celui chargé de la « lustration ». Il s’agissait alors de se débarrasser de dizaines de milliers de responsables. Tout paraissait possible. Le premier ministre, Arseni Iatseniouk, ne venait-il pas d’annoncer qu’il voyagerait désormais en classe économique ?

Quatre mois plus tard, la plupart des projets de loi du « comité lustration » dorment au fond d’un tiroir. Sa victoire la plus retentissante s’est muée en déroute : mi-avril, après que 2 000 personnes recrutées parmi les irréductibles qui campent encore sur Maïdan se furent rassemblées devant le Parlement, tous les présidents de tribunaux ont été remerciés, et leur remplacement soumis à un vote des juges. Résultat : 80 % d’entre eux ont été réinstallés.

« A dire vrai, notre comité n’a même pas été officiellement formé, explique l’une des animatrices du groupe, Olga Galabala. L’annonce de sa création était seulement destinée à calmer Maïdan. Puis il y a eu la Crimée, la guerre dans l’Est… Mais nous savons que la révolution est un processus long. Il faut seulement que les citoyens ne baissent pas la garde, comme ils l’ont fait après la “révolution orange” de 2004. »

RÉSISTANCES

La principale solution évoquée par les militants pour donner corps aux revendications de Maïdan et accélérer le renouvellement des élites est celle d’élections législatives anticipées. Leur tenue était une promesse du candidat Petro Porochenko, élu à la présidence le 25 mai, et l’ensemble du personnel politique se dit en leur faveur. Mais, là encore, les résistances montrent la difficulté à se défaire des pratiques passées. Elles émanent des perdants potentiels d’un tel scrutin – Parti des régions de l’ex-président Ianoukovitch, Parti communiste, parti Batkivchtchina de Ioulia Timochenko –, mais surtout de ceux parmi les députés qui ont purement et simplement acheté leur siège lors du scrutin de 2012. Selon les données collectées par la sociologue Ioulia Shukan, un mandat à la Rada peut coûter jusqu’à plusieurs millions d’euros. Le retour sur investissement serait tout simplement menacé.

« Les visages ont déjà changé », a tranché M. Porochenko lors de son discours d’inauguration, le 7 juin. Entre les lignes, il fallait surtout comprendre qu’un changement radical du système, lui, attendrait. L’allocution concernait d’ailleurs moins d’éventuelles réformes que la sauvegarde de l’intégrité territoriale du pays, menacée par l’insurrection dans le Donbass. Le score du président – 54,7 % des voix au premier tour – montre que les priorités ont changé : malgré les promesses non tenues et le retour des oligarques honnis, il s’agissait de donner le mandat le plus fort possible, dans un contexte d’agression extérieure, au mieux placé des candidats issus de la révolution.

Sergueï Pachinski a été le chef de l’administration présidentielle du prédécesseur de M. Porochenko, Olexandre Tourtchinov, président intérimaire pendant trois mois. Il tient peu ou prou le même discours. « Quand nous sommes arrivés au pouvoir, notre objectif numéro un était la lutte contre la corruption. Une semaine plus tard, la question qui nous était posée était celle de la survie de l’Ukraine. Mais il ne faut pas penser que Maïdan n’a servi à rien. Une nation y est née, et elle s’est affirmée lors de l’élection présidentielle, quand les régions ont voté indifféremment pour Porochenko. Bâtir un Etat sur les ruines dont nous avons hérité, ce sera l’étape d’après. »

« ÉTAT DE GRÂCE »

Où en est la révolution, quatre mois après et à la veille de la signature, vendredi 27 juin, du volet économique de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne ? La réponse de Pavel Rizanenko, député du parti UDAR, n’est pas si éloignée de celle des militants de Maïdan. « Le pouvoir est encore en état de grâce. Mais dans six mois, il faudra des résultats tangibles, sinon il y aura un Maïdan d’octobre, comme il y a eu en Russie la révolution d’Octobre après celle de février. » Dans sa circonscription des environs de Kiev, les chefs de la police ont été remplacés. Mais les policiers de base, ceux qui complètent leur salaire de 200 euros en extorquant citoyens et entrepreneurs, sont restés.

M. Rizanenko a un plan simple pour gagner du temps et faire illusion : « échanger » ces hommes contre ceux d’une ville voisine, « au moins pour donner aux gens l’impression d’un changement ».

Benoît Vitkine (Kiev, envoyé spécial)
Journaliste au Monde

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