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Chronique des Temps Présents

Publié le par Felli Bernard

Chronique des Temps Présents

Publié par Alexis Nemiroff le 23 septembre 2014 dans Articles

Les difficultés que l’Ukraine doit affronter sont triples

Le 24 août dernier, jour de l’indépendance du pays, le président Poroshenko prononça la dissolution du Parlement déclenchant ainsi la tenue d’élections parlementaires anticipées qui devront avoir lieu le 26 octobre prochain. Le but visé étant double : tourner la page anticonstitutionnelle résultant du coup d’état du 21 février et qui ne fut qu’à moitié tournée au lendemain de l’élection présidentielle de mai dernier ; permettre au Président Poroshenko qui ne dispose que d’un soutien fragile au Parlement de construire une coalition plus stable afin d’assoir son pouvoir.

Il est pourtant permis de douter que cette élection puissent mettre un point final à l’instabilité politique du pays ou à l’antagonisme Est-Ouest et ce pour 2 raisons:

– L’expression électorale de la population russophone n’aura qu’un espace public extrêmement réduit. Deux partis se le disputent, « Opposition Unie » qui tente de renaitre des cendres du Parti des Régions et « Ukraine Forte » de Sergei Tihipko qui semble bénéficier du soutien de Dmitro Firtash retenu à Vienne pour cause de demande d’extradition américaine. Quoi qu’il en soit cet espace est crédité d’à peine 10% des intentions de vote.

– une fois la nouvelle Rada formée, l’antagonisme entre Yulia Tymoshenko et le Président Poroshenko, dont les signes préliminaires commencent à émerger, apparaitront au grand jour. Il est possible que les récentes surenchères verbales de Yatseniuk au sujet de l’accession à l’OTAN soient une tactique circonstancielle afin de limiter l’érosion des voix nationalistes au profit du Parti Radical d’Oleg Lyashko– personnage trouble crédité de 15% et semblant bénéficier du soutien financier d’anciens proches de Yanukovich. Toujours est-il que des dissensions réelles entre les hommes du Président et les hommes de Tymoshenko existent et seront difficilement contrôlables.

À ce sujet, il est important de noter que la Constitution de 2004 en vigueur rend l’exercice du pouvoir entre le Président et le Premier Ministre très confus et difficile même en cas de bonne cohabitation comme cela est pour l’instant, et en apparence seulement, le cas avec Poroshenko et Yatseniuk.

Petro Porochenko le 18 septembre 2014 au Conseil de l’Atlantique Nord. Crédit photo : atlanticcouncil via Flickr (cc)

Le pouvoir ne se partage pas disait Mitterrand, et l’Ukraine ne fait pas exception à cette règle. Le cabinet présidentiel est essentiellement composé « d’anciens » hommes d’affaire pour la plupart issus de la région de Vinnitsa (la base électorale de Poroshenko). Ils sont pragmatiques, veulent préserver leur pouvoir économique et sont prêt à faire affaire avec la Russie – alors que les membres du cabinet du Premier Ministre sont pour la plupart issus de la frange idéologique Galicienne, antirusse de manière « civilisationnelle » et prêts à tout pour intégrer l’OTAN. Le Premier Ministre a d’ailleurs pris la décision de faire campagne séparément du parti de Poroshenko, en intégrant dans sa liste 2 des 3 chefs de bataillon les plus radicaux (le chef du Bataillon Azov et le chef du Bataillon Donbass) en position éligible.

Tout ceci n’est pas de nature à favoriser un contexte de réconciliation mais bien au contraire à amplifier la fracture entre l’Est et le reste du pays ainsi qu’entre radicaux galiciens et libéraux.

Contre toute attente, le cessez le feu à l’Est semble tenir et ce malgré les violations flagrantes de certains des belligérants. Il est intéressant de voir que ni Petro Poroshenko ni Vladimir Poutine ne considèrent ces violations comme suffisamment sérieuses pour remettre en cause la trêve.

La question centrale est de savoir si ce cessez le feu n’est qu’une étape permettant aux belligérants de se renforcer afin de reprendre les hostilités pour atteindre leurs objectifs militaires respectifs ; ou s’il s’agit d’une stabilisation de la ligne de front afin de délimiter les contours d’une entité politique autonome dans le Donbass (13 districts sur 25 que comptent les deux régions).

Alors que l’Ukraine n’a plus ni armée ni ressource financière pour nourrir l’effort de guerre, il est particulièrement inquiétant de voir que l’on a franchi une étape de plus dans l’implication de l’OTAN dans le conflit avec l’assistance directe – quoique démentie – de certains pays membres de l’Alliance. Il apparait pourtant peu probable que cette aide militaire soit de nature à inverser le rapport de force entre la DNR et l’Armée ukrainienne. Elle n’aura comme conséquence que d’exacerber la position russe et d’en stimuler l’assistance.

Si ceci ne suffisait pas pour dresser un tableau peu engageant du pays, la situation économique inquiète d’avantage les esprits bien informés. Malgré un programme de $17mds dont la 2eme tranche de $1.4 mds fut récemment déboursée, le FMI a récemment fait état d’un besoin supplémentaire de 19mds de dollars d’ici à 2015. Les conditionnalités pour le premier prêt commencent déjà à se faire ressentir par la population :

– La monnaie, à la suite de la libéralisation du taux de change, a perdu 50% de sa valeur depuis février sans relancer les exportations. L’inflation est de 24%.

– Le déficit budgétaire s’élargit et ce malgré les coupes dans les programmes sociaux et l’augmentation des tarifs énergétiques.

– L’économie devrait se contracter de 7 à 10% en 2014 et de 5 à 6% en 2015. Le coût de la guerre a été établit à $10m par jour.

– Seule lueur au tableau, la production agricole semble encourageante avec 36mt déjà produites et un rendement supérieurs de 16% par rapport à l’année dernière.

Jose Barosso a promis 8mds d’euros qu’il n’a pas et les USA n’ont pas le consensus bipartisan nécessaire à Washington pour voter l’octroi d’une autre garantie de prêt – le premier octroi de $1 mds fut arraché in-extremis au premier semestre de cet année. Reste donc la Russie (pour l’instant inacceptable aux yeux des occidentaux) et le FMI qui ne peut donner de prêt supplémentaire car l’Ukraine a atteint son quota maximum. La possibilité d’un défaut ou d’une restructuration de la dette n’est plus taboue mais aurait des conséquences graves pour le pays car il fermerait de facto l’accès au marché pour l’ensemble des compagnies ukrainiennes.

Reste donc la générosité de la planète pour une aide multilatérale de grande ampleur. C’est précisément l’objectif de Poroshenko qui veut organiser avant la fin de l’année une « conférence des donateurs » à Kiev afin de lever les fonds nécessaires à la survie de l’économie. Les contours de cette conférence sont encore flous mais on comprend mieux la décision de signer la trêve avec le Donbass afin de permettre la tenue des élections législatives, premier obstacle à franchir pour accoucher de la conférence salvatrice…

Il apparait nécessaire d’insister sur la menace que fait peser l’hiver qui vient sur l’Ukraine. Le pays a un déficit de 5bcm (milliards de m3) de gaz naturel et réussit à importer par flux inversé de la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie 20 million de m3 par jour. À ce rythme il faudrait 8 mois pour compenser le déficit actuel, sans compter sur le fait que Gazprom, n’étant pas totalement dupe, a maintenu les exportations à destination des pays « inverseurs » au niveau d’avant Juin – c’est-à-dire sans prendre en compte les besoins supplémentaires de l’Ukraine.

Le pays a également un déficit de 5 millions de tonnes de charbon résultant du conflit dans le Donbass ainsi que des réserves de combustible nucléaire à peine suffisantes pour les prochains 6 mois.

Dans ce contexte il est particulièrement révélateur de constater qu’après avoir signé en fanfares le fameux accord de libre-échange avec l’UE, l’Ukraine et l’UE ont décidé d’un commun accord d’en suspendre l’application jusqu’en 2016. Les autorités de Kiev n’ont jamais fait mystère en privé et malgré un discours pro-européen quasi transcendantal que ledit accord constituait un danger mortel pour le pays. L’Ukraine a déjà perdu 25% de ses exportations vers la Russie et n’a que peu de chance de substituer dans l’immédiat le marché russe par le marché européen.

La suspension de cet accord montre que malgré la démence qui a saisi les dirigeants de l’UE, le bon sens n’a pas totalement déserté les esprits. Certaines sources proches de la Commission n’hésitent pas à dire en privé que cette suspension s’apparente d’ailleurs plus à des funérailles discrètes.

En conclusion

Qu’il me soit permis de conclure cette première chronique en citant l’ancien directeur du FMI Dominique Strauss Khan, grand amateurs des charmes de l’Ukraine et qui participait à la Conférence Yalta European Strategy la semaine dernière :

« L’Ukraine est seule. L’Europe – en grande partie responsable du chaos actuel – ne versera pas son sang pour la défendre, elle doit trouver un compromis avec la Russie qui débouche sur une solution de long terme car il est une réalité incontournable, la Russie – a l’inverse des USA – est et sera le voisin de l’Ukraine ».

L’Ukraine n’est plus à un paradoxe près…

Alexis Nemiroff

Chronique des Temps Présents
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