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ABANDONS ET AMBITIONS DE SOUVERAINETE !

Publié le par Felli Bernard

ABANDONS ET AMBITIONS DE SOUVERAINETE !
ABANDONS ET AMBITIONS DE SOUVERAINETE !

Ouf, on l’a échappé belle ! Sous la pression de quelques députés gaullistes courageux le gouvernement a retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi entérinant l’accord-cadre entre la France éternelle et l’île Maurice. Celui-ci acceptait notamment la « cogestion économique », scientifique et environnementale de l’île de Tromelin et de sa zone maritime. Evitée de justesse, la ratification de cet accord aurait clairement signifié un abandon de souveraineté ! A terme, cela aurait abouti en effet à un abandon total, pur et simple de la souveraineté française sur l’île Tromelin et des droits sur sa Zone économique exclusive (ZEE) de 280 000 km2 au profit de Maurice : cette dernière en revendique la paternité depuis des années… et, derrière le statut intermédiaire de « cogestion », continue à fourbir ses armes pour repartir à l’attaque et revendiquer la pleine propriété de cette île stratégique !

POSTE DE COMBAT

Cet abandon de souveraineté créerait un fâcheux précédent risquant de prendre valeur d’une jurisprudence par défaut et susceptible de menacer d’autres sites de l’espace maritime français – le deuxième au monde avec plus de 11 millions de km2 – et ses multiples richesses halieutiques, minières, hydrocarbures et biodiversité. Le député Jacques Myard conclut son communiqué d’urgence par ces mots : « il est nécessaire maintenant que la France se mette en position de mettre en valeur ces gigantesques richesses et protège ses droits sur ces zones maritimes, en dotant notamment la Marine nationale des moyens indispensables comme des frégates rapides d’intervention, qui lui font défaut aujourd’hui ».

Notre ami Jean-Dominique Giuliani a, lui aussi rappelé au poste de combat : « un micro-territoire français, l’île Tromelin est l’objet d’une contestation indue de la République mauricienne qui ne cesse d’en revendiquer la souveraineté, pourtant incontestablement française depuis 1722. Une portion de sable dira-t-on ? Mais surtout 280 000 Km2 de Zone économique exclusive, sur laquelle la souveraineté française s’exerce pour la pêche, la protection de l’environnement, la recherche historique et scientifique. Rien qui soit susceptible d’intéresser vraiment les bureaux parisiens ! Mais pourtant, il s’agit d’une richesse, celle de la mer, de ses profondeurs, de ses entrailles, de sa surface, celle de nos Outre-mer et de ses potentialités présentes et futures, dûment exploitée par des populations attachées à la France et protégés par une Marine nationale experte et vigilante ». Et au-delà, il s’agit pour celle-ci d’assurer toutes les missions de sécurisation des voies maritimes.

Notre diplomatie redoute-t-elle à ce point l’hyperpuissante République mauricienne pour ainsi baisser pavillon dans des conditions aussi humiliantes qu’incompréhensibles ? Dans cette perspective, qu’adviendra-t-il alors des contestations récurrentes touchant Mayotte, les îles Matthew et Hunter au large du Vanuatu, de même que les dépendances de la Réunion, les îles Eparses dans le canal de Mozambique et demain, pourquoi pas les Antilles et la Guyane ? Lâcheté, incompétence, voire les deux réunies en un renoncement qui confine à une déconstruction de l’amour de la France, à un accompagnement du chien crevé au fil de l’eau, à une honte de soi qui se soucie davantage de la défense et de la reproduction des privilèges que de l’avenir de notre pays et de ses enfants !

L’ÎLE DE LA PASSION

Imagine-t-on deux secondes une posture similaire de la Grande Bretagne envers Gibraltar ou les Malouines ? Des Etats-Unis envers la base de Diego Garcia (possession britannique louée aux Américains) ou du Grand nord arctique ? Peut-on concevoir un tel renoncement de la part de la Chine qui ne cesse de consolider sa marine de guerre et ses prétentions en direction des îles Spratleys et Paracels ? Sans parler des Brésiliens et des Indiens qui – eux-aussi – poursuivent modernisation et augmentation des tonnages de leurs marines hauturières et côtières… dans un contexte où chaque pays s’efforce de faire reconnaître par les Nations unies ses droits maritimes désormais encadrés par des textes codifiés et amendables !

Si l’île Tromelin vient de nous réveiller de notre sommeil dogmatique, que dire de la situation de celle de la Passion (Clipperton) encore plus scandaleuse et révoltante. Faute de présence suivie de bateaux français, les pêcheurs mexicains, mais aussi portoricains, chinois et autres l’ont transformée en base-arrière de leurs pillages parfaitement illégaux des importantes réserves halieutiques particulièrement riches en thon et biodiversité ! Cet abandon de souveraineté par défaut, sinon par manque de bateaux gris, fait désormais de l’île de la Passion une zone de non droit dédiée à toutes espèces de trafics. Non seulement la demande d’extension de la ZEE (prise en compte du plateau continental) n’a pas été déposée à temps, mais pour pallier aux manques de moyens dédiés à l’action de l’Etat en mer, la ministre de l’Environnement Ségolène Royal annonce en septembre 2016 que l’île de la Passion et sa ZEE deviendront… une « aire marine protégée ». Belle jambe ! Comme si cette simple annonce pouvait impressionner pêcheurs mexicains et autres pirates et flibustiers profiteurs de ce joyau de souveraineté française…

L’île de la Passion est un atoll français situé dans l’océan Pacifique à 10 200 kilomètres de la France métropolitaine, à 5 400 kilomètres de Tahiti et à 1 100 kilomètres des côtes mexicaines. Son lagon est le seul lagon d’eau douce de la planète. En deux mots : l’île de la Passion est la seule possession française du Pacifique nord et représente le quatrième territoire français du Pacifique et le cinquième de l’Outre-mer français par son extension maritime.

L’île a été découverte le vendredi saint 3 avril 1711 par les Français Mathieu Martin de Chassiron et Michel Dubocage, commandant respectivement les frégates la Princesse et la Découverte, qui en dressèrent la première carte. En souvenir de cette journée, ils la baptisèrent « île de la Passion ». Bien que n’étant pas chef d’escadre, c’est Dubocage qui a conseillé la route à suivre et qui, le premier a découvert cet atoll ne figurant pas sur les cartes. Intéressée non pas par le phosphate de l’île mais par sa position stratégique dans le Pacifique face à l’isthme de Panama dans la perspective d’un percement futur, la France en prend possession le 17 novembre 1858… officiellement par publication dans divers journaux, sans qu’aucun État n’en conteste la réalité. Le projet était de faire de l’île un port de relâche pour les bateaux à vapeur avec la construction d’un phare sur le « Rocher » (point culminant de l’île) qui serait visible à 30 milles nautiques.

La découverte d’une grande quantité de guano sur l’île incita le Mexique, plus proche, à revendiquer l’île de la Passion et à l’occuper dès 1897. Suite à la révolution mexicaine, les bateaux chargés de l’approvisionner tous les deux mois ne vinrent plus. Bien que l’îlot n’ait jamais eu de population française, la souveraineté française fut reconnue le 28 janvier 1931 par un arbitrage international. Le jugement reconnaît le caractère de terra nullius du territoire lors de la prise de possession française et l’effectivité de celle-ci. Le Mexique reconnaît définitivement la souveraineté française sur l’île en 1959.

Régulièrement, au moins une fois par an, un bâtiment de la Marine nationale visite l’île pour remplacer la plaque commémorative et le drapeau national très souvent saccagés par les contrebandiers, les pêcheurs et les chercheurs de trésors. Cette mission est parfaitement conforme au droit international relatif au statut de la mer et au maintien de la ZEE française, qui permet notamment à la France d’être partie à plusieurs traités internationaux concernant cette zone de l’océan Pacifique, notamment pour les ressources halieutiques (l’île se situe dans une importante zone de ressources pour la pêche au thon), mais le droit exige que la souveraineté soit justifiée par une occupation régulière.

CONSOLIDER NOTRE MARINE NATIONALE

A l’évidence, notre Marine nationale doit disposer de plus de bateaux de surface, frégates, corvettes et patrouilleurs. Alors qu’aujourd’hui chaque unité doit sauvegarder un espace équivalent à la surface de la France métropolitaine, il faudrait doubler le nombre de bateaux afin que la Marine nationale puisse pleinement accomplir ses missions. C’est beaucoup ! Vieux serpent de mer, l’évidence de l’insuffisance des moyens se heurte régulièrement aux contraintes budgétaires dont notre Marine nationale a plus souvent fait les frais que les autres armées au cours des dernières décennies. Certes, l’immensité de son espace maritime excède de loin les capacités budgétaires de notre pays confronté à une crise économique structurelle profonde. Certes, l’ajustement de notre effort militaire à 2% du PIB améliorerait la situation, mais les besoins ne pourraient être vraiment satisfaits même à hauteur de 4%. Par conséquent, il s’agit d’adopter rapidement une vraie stratégie maritime fixant des priorités, des acteurs principaux, des budgets et des partenariats transversaux, avec – au-delà de la proclamation d’aires marines protégées et du blabla interministériel habituel – des mécanismes opérationnels en mesure d’assurer sérieusement un suivi tout aussi opérationnel.

Si cette stratégie passe d’abord par la consolidation et la modernisation de notre Marine nationale- qui a su jusqu’à maintenant sauver les meubles en tirant quelques marrons du feu-, elle devra impérativement faire preuve de créativité pour satisfaire une ambition nationale proclamée, mise en œuvre et gérée comme l’une de nos grandes priorités politiques, oui « politique », sinon culturelle ! Ce n’est qu’en décembre dernier qu’une loi adoptée par ordonnance a été publiée au JO1, codifiant dans un texte unique les principes de la Convention de Montego Bay sur les ZEE, convention qui date de … 1983 ! Cette ordonnance n’ajoute rien en droit mais édicte un code de conduite du droit de la mer selon les Nations unies. Trente-trois ans après, il était temps !

Oui, et un autre temps est certainement venu… Désormais, les Français disposent de tous les éléments pour commencer à comprendre que la mer et les océans ne se réduisent pas aux vacances sur la côte d’Azur et au Vendée Globe. En juillet 2012, la publication du rapport des sénateurs Jeanny Lorgeoux et André Trillard – Maritimisation : la France face à la nouvelle politique des océans2 – a marqué une étape importante dans la prise de conscience de notre retard accumulé en matière de culture et d’action maritimes.

STRATEGIE MARITIME FRANCAISE

L’une des principales conclusions de ce rapport fondateur consistait à démontrer que la mer et les océans sont pour notre pays l’un des axes de croissance les plus prometteurs pour les années à venir. Chiffres à l’appui, le secteur maritime (hors tourisme) emploie en France autant, sinon plus de personnes que celui de l’automobile. Dans cette perspective, la défense de l’espace maritime français ne se réduit pas à des dépenses de pure perte alloués à l’achat, à l’entretien de bateaux gris et de ses personnels : cet investissement entraîne de nombreux effets économiques multiplicateurs. Depuis plusieurs décennies, les sociétés françaises capables de produire les porte-avions, les porte-hélicoptères, les sous-marins et les frégates les plus perfectionnés du monde, ont pu ainsi diversifier leurs activités dans les secteurs de la recherche, de l’énergie (éoliennes, hydroliennes, etc.), de l’exploration et de l’exploitation du fond des mers.

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la mise en chantier d’une Croissance bleue, d’un développement durable dont les missions de protection et de sauvegarde environnementale constituent, elles-aussi, un secteur économique à part entière, très prometteur et nécessaire à la survie de la planète, ne serait que dans le suivi opérationnel des acquis de la Cop-21 et de la mise en œuvre des accords multilatéraux qui devront suivre.

La mise en place et la « gestion raisonnée » des aires marines protégées représente un enjeu essentiel de protection et de croissance. « Gestion raisonnée » et non alibi comme on l’a vu (déclarer la protection pour mieux se désengager et détruire ailleurs), la politique de sauvegarde maritime dont la Principauté de Monaco a été pionnière dès les années soixante, marque bien une articulation proprement organique de la Croissance bleue. Même s’il intéresse peu la grande presse, le seul exemple de l’accord RAMOGE est emblématique à plus d’un titre.

Traité de protection de l’environnement signé en 1976 entre la France, Monaco et l’Italie, l’accord RAMOGE concerne les zones maritimes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, de la Principauté de Monaco et de la Ligurie, constituant une zone pilote de prévention et de lutte contre la pollution du milieu marin. Comme l’indique le site officiel ramoge.org, « la zone géographique de l’accord s’étendait initialement de Saint Raphaël à l’Ouest, à Monaco, et vers l’Est à Gênes, d’où le nom de RAMOGE constitué des premières syllabes des noms de ces trois villes. Cette zone a été élargie et s’étend désormais de Marseille à La Spezia et plus précisément de l’embouchure du Grand Rhône à l’Ouest, à l’embouchure de la rivière Magra à l’Est. Sans faire grand bruit, cet accord permet aussi d’importantes coopérations avec notre partenaire algérien en matière de défense et de sécurité. Il est créateur de stabilité mais aussi d’activité et d’emplois.

Cet exemple n’est pas le seul et pousse à élargir la réflexion et l’action à venir. Depuis le début des années soixante-dix, notre pays est confronté à une crise économique structurelle, profonde et récurrente. La suite est malheureusement connue : inflation, déficits commerciaux, stagflation et chômage. Depuis le début des années 2000, les mondialisations économiques et financières ont commis des ravages inouïs dans notre filière industrielle, dans notre agriculture et ses filières agro-alimentaires comme dans nos activités tertiaires qui créent de moins en moins d’emplois. Dans ce contexte, l’espace maritime français et sa Croissance bleue offrent d’innombrables perspectives. Faut-il encore que nos élites économiques, politiques et administratives en prennent conscience pour qu’elles adoptent et, surtout mettent en œuvre une vraie stratégie maritime pour la France.

On l’a vu dernièrement avec l’île Tromelin, on s’en rend moins compte avec l’île de la Passion et d’autres territoires tout autant menacés, la défense de nos souverainetés maritimes n’a pas seulement une dimension politique et géopolitique. Cette défense active et pro-active constitue aussi un enjeu économique et social majeur qui pourrait inspirer davantage les candidats à la prochaine élection présidentielle, leurs conseillers et leurs communicants…

A part Jean-Luc Mélenchon, dont la proposition 81 du programme « L’avenir en commun » ambitionne d’« engager la France dans un Plan mer et de créer 300 000 emplois maritimes », les aspirants à l’Elysée n’ont visiblement pas bien mesuré les enjeux de la Croissance bleue.

Messieurs, encore un effort, tout est dans le rapport Lorgeoux/Trillard. Il suffit de le lire pour en dégager les lignes de force afin de doter notre pays d’une grande et ambitieuse stratégie maritime !!!

Richard Labévière
23 janvier 2017

1 Ordonnance n° 2016-1687 du 08/12/16 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française. (JO n° 286 du 9 décembre 2016)
2 Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de MM. Jeanny LORGEOUX et André TRILLARD, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.

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