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Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse, par Francis Briquemont

Publié le par Felli Bernard

Françis Briquemont
Françis Briquemont

24

août

2014

Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse, par Francis Briquemont

Voici une très intéressante série de vues de Francis Briquemont, le général belge qui commanda la FORPRONU en Bosnie en 1993-1994 (qui a donc 79 ans actuellement…)

Pour les plus jeunes, vous trouverez ici son coup de gueule qu’il avait écrit en 1994 quand il avait été rappelé pour avoir critiqué l’ONU : Bosnie : le “j’accuse” d’un général humilié

On y lira par exemple :

“Il n’y a pas, d’un côté, les bons, de l’autre, les méchants. C’est une guerre à trois. Une guerre tournante. Les alliances se font et se défont en fonction des rapports de forces dans chaque région. Dès qu’un parti – serbe, croate ou musulman bosniaque – devient trop fort, les deux autres s’unissent contre lui. Il faut en finir avec l’antiserbisme primaire véhiculé par quelques intellos en goguette.”

La guerre, c’est toujours plus intéressant quand ceux qui la font en parlent…

En lien, ce papier de Daniel Salvatore Schiffer dans Marianne en 2009 : Serbie et Bosnie: et si le méchant n’était pas celui qu’on croit ?, où on lit :

“La Bosnie, tout d’abord, celle-là même que ne cessèrent d’encenser au prix de mensonges souvent éhontés, en voulant nous la présenter comme un modèle de société multiculturelle et pluriethnique, quelques-uns de nos intellectuels les plus médiatisés, au premier rang desquels émerge un imposteur de taille : Bernard-Henri Lévy. Je me souviens, en particulier, de la manière, aussi partisane qu’effrontée, dont ce grand mystificateur s’évertua, durant toutes ces années de guerre et contre le sens de la vérité elle-même, à glorifier les soi-disant mérites de son idole politique d’alors : Alija Izetbegovic, premier Président de la Bosnie indépendante, mais, surtout, fondamentaliste musulman dont la tristement célèbre « Déclaration Islamique », publiée à Sarajevo en 1970, affirme textuellement, niant là les valeurs de nos sociétés laïques, qu’ « il n’y a pas de paix ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales et politiques non islamiques ». ” [Lire ici cette édifiante déclaration]

Intéressant de voir la même propagande par les mêmes personnes 20 ans plus tard…

Bref, retour sur 3 billets sur l’Ukraine publiés cette année par le général Briquemont (merci de me les avoir signalés)

9 avril 2014, Crimée : offerte à Poutine sur un plateau d’argent

Les cris d’orfraie des dirigeants occidentaux à propos de cette “attitude insupportable” de la Russie, “ce référendum illégal”, masquent leurs fautes d’appréciation et bourdes. Inventaire.
La gestion de la crise ukrainienne par les Occidentaux laisse perplexe. La gestion d’une crise ou d’un conflit se traduit en fait par une série d’actions et/ou réactions résultant d’une analyse rationnelle de la situation. Comme dans toute stratégie opérationnelle, un des principes de base à respecter est le maintien de sa liberté d’action. Concrètement cela signifie connaître ses possibilités d’action et être capable d’apprécier et prévoir celles de son adversaire.

Que s’est-il passé en Ukraine ? La moitié occidentale du pays, proeuropéenne, s’est révoltée contre le pouvoir en place, incarné par un président et un gouvernement pro-russe refusant un rapprochement politique avec l’UE, et contre la corruption généralisée caractéristique de cet Etat. Initialement, cette révolte s’est déroulée dans l’indifférence de la partie orientale du pays plutôt pro-russe et surtout russophone mais cette indifférence s’est vite transformée en hostilité envers les révoltés de Kiev, dont l’attitude était de plus en plus anti-russe.

Choqués par la violence croissante des événements de Kiev, les dirigeants européens ont pris fait et cause pour les révolutionnaires de Kiev sans trop se soucier des réactions de la Russie; provoqué la fuite de Ianoukovitch et considéré, un peu naïvement peut-être, le gouvernement provisoire comme celui de “toute” l’Ukraine. Chacun appréciera comme il veut la composition et la légitimité de ce gouvernement ou la manière de réagir de l’UE, mais cette reconnaissance immédiate et très médiatique du gouvernement de Kiev est une erreur d’appréciation politique de l’UE qui a permis à Vladimir Poutine, digne héritier des tsars, de (re) prendre l’initiative dans la gestion de la crise.

Si, dès le début de la révolte populaire à Kiev, les Européens s’étaient penchés (un peu) sur la carte de la Russie et de ses confins et s’étaient souvenus de l’histoire de la Russie depuis la fin, humiliante pour elle, de l’URSS, ils auraient conclu que l’Ukraine n’était pas un pays comme les autres et que, pour autant que la stabilité en Europe soit un objectif stratégique important pour l’UE, il était utile d’organiser, au plus vite, un sommet UE-Russie pour parler sereinement de l’Ukraine. Au lieu de cela, les dirigeants européens ont snobé Vladimir Poutine en refusant d’assister à l’ouverture des Jeux de Sotchi – occasion rêvée pour des contacts discrets – et, erreur plus grave “oublié”, que les révoltés de Kiev ne représentaient que la moitié ouest de l’Ukraine. Si, Herman Van Rompuy et Catherine Ashton avaient pu, au début de l’année, rencontrer Vladimir Poutine pour lui expliquer que l’UE était prête à participer au développement de l’Ukraine mais qu’il n’était pas question d’en faire un membre de l’UE et, encore moins, de l’Otan, on aurait pu peut-être éviter la crise actuelle.

Toujours est-il que le gouvernement provisoire ukrainien a aussi commis d’emblée la bourde politique de vouloir supprimer l’usage de la langue russe comme deuxième langue. Vladimir Poutine n’en demandait pas tant pour d’une part, entretenir l’agitation anti-Kiev à l’Est de l’Ukraine et d’autre part, pour régler en quelques jours le retour de la Crimée dans le giron russe et ce, à la stupéfaction (feinte ?) des Occidentaux; cette Crimée, terre russe depuis des siècles, rattachée à l’Ukraine alors au sein de l’URSS par “erreur stratégique”, et plus encore, siège de la plus importante base militaire russe dans le sud avec son accès à la Méditerranée.

Les cris d’orfraie des dirigeants occidentaux à propos de cette “annexion par la force”, cette “attitude insupportable”, “ce référendum illégal” sont sans doute proférés maintenant pour masquer la faiblesse de leur appréciation depuis le début de la crise. C’est aussi faire semblant d’oublier que les traités, les accords, les règles du jeu international, le respect des droits des humains, etc., se sont toujours plus ou moins adaptés à la stratégie militaire ou économique des Etats (des “Grands” certainement) et non l’inverse. Sans renvoyer aux calendes grecques, les Occidentaux peuvent aussi se rappeler certains épisodes peu légaux de la dislocation de l’ex-Yougoslavie; le déclenchement “illégal” de la guerre en Irak pour un faux prétexte de surcroît; les paroles de Margaret Albright, la secrétaire d’Etat américaine, déclarant un jour : si l’Onu est d’accord avec nous, tant mieux, si elle ne l’est pas tant pis; oublier aussi la manière dont les Occidentaux ont interprété la résolution du conseil de sécurité concernant l’intervention en Libye. Pau Guth écrivait non sans humour : “Regardez la carte du monde : on y joue à bureaux fermés la fable du loup et l’agneau” (1). En stratégie, il y a peu de place pour les naïfs ou les âmes sensibles.

Le sort de la Crimée étant réglé et irréversible, que pourrait-on faire maintenant pour calmer la situation ? Barack Obama, allergique à toute intervention militaire, et Vladimir Poutine semblent reprendre le problème ukrainien en main. Le premier dont les priorités stratégiques restent le Pacifique, la prolifération nucléaire (Iran, etc.) et un accord entre Israël et la Palestine, est venu dire à Bruxelles lors d’une visite dont la démesure n’a eu d’égale que la brièveté : 1°/ Au sein de l’Otan, les Européens devraient faire un effort dans le domaine de la défense; 2°/ Il faut envisager des sanctions économiques (sévères ?) si la Russie poursuit son agression contre l’Ukraine; 3°/ Pour ne plus trop dépendre du gaz soviétique, vous, les Européens, pourrez bientôt acheter du gaz de schiste américain; pour cela, signons au plus vite le traité de commerce transatlantique en discussion aujourd’hui. Bien joué en peu de temps !

Quant à Vladimir Poutine, il peut se permettre d’attendre car il n’a vraiment aucun intérêt à provoquer le déclenchement de sanctions économiques que personne en Europe ne souhaite d’ailleurs.

Tout le monde va sans doute patienter jusqu’aux résultats des élections prévues en Ukraine dans les prochains mois avec l’espoir qu’un modéré soit élu président et qu’un gouvernement d’union (vraiment) national soit formé. Si ce scénario se réalise, l’UE (nouvelle commission) et la Russie pourraient envisager plus sereinement le développement et la place de l’Ukraine sur l’échiquier européen. Assez rapidement, la Russie pourrait reprendre sa place au sein du G8 car, en stratégie, on ne peut faire la paix qu’avec son adversaire. Et l’UE pourrait, mais j’en doute, tirer, de l’épisode ukrainien, les leçons de sa faiblesse chronique, politique et… militaire.

Il est quand même décevant de constater que l’UE, cinq cents millions d’habitants, est incapable de résoudre seule un problème européen avec la Russie parce qu’elle n’a aucune stratégie commune acceptée par ses Etats membres. Une première décision souhaitable à prendre au sein de l’UE serait d’arrêter ce concept de l’élargissement permanent et son corollaire, l’adhésion à l’Otan. Car amener l’Otan à Kiev, ce serait refaire l’erreur de Nikita Kroutchev qui, il y a cinquante ans, voulait faire de Cuba une annexe nucléaire de l’URSS. A l’époque, on a frôlé la catastrophe nucléaire; une façon comme une autre sans doute, de régler le problème du réchauffement climatique !

Francis Briquemont

(1) Dans : “Lettre ouverte aux futurs illettrés”, Livre de poche n°5561

Source : LaLibre.be

20 mai 2014, De l’Ukraine aux élections européennes

Notre Occident, toujours aussi préoccupé de lui-même, se croirait volontiers de nos jours universel.” J. Gernet (1)

Le chaos s’installe en Ukraine. Récemment, nous avons évoqué cette crise (2) et chaque jour nous nous demandons encore comment le gouvernement (?) de Kiev et les Occidentaux ont pu commettre autant d’erreurs d’appréciation dans la gestion de cette crise. Sauf, bien entendu, si le but poursuivi était de provoquer un conflit avec la Russie.

Aujourd’hui, les déclarations très médiatisées de Barack Obama ou de John Kerry – l’UE étant sur la touche – font penser “au matraquage” bien organisé des opinions publiques pour justifier la guerre en Irak (2003) et ce, dans la tradition de “la stratégie du shérif” c.-à-d. d’un côté : un affreux, Vladimir Poutine et la Russie; et de l’autre : le bon, le gouvernement de Kiev et l’Occident !

Mais en fait, qui a d’abord déstabilisé l’Ukraine à la fin de 2013 ? Est-ce Vladimir Poutine ou les révolutionnaires de Kiev ? Comment ces derniers, évaluant mal la situation économique et… communautaire de leur pays et plus mal encore sa situation géopolitique dans le cadre européen, ont-ils pu croire qu’en criant “Vive l’Europe” les Occidentaux allaient intervenir – comment et avec qui d’ailleurs ? – et mettre Vladimir Poutine devant le fait accompli.

Qui a provoqué les émeutes sanglantes à Kiev qui ont précipité la chute de Viktor Ianoukovitch ? Des pro-Russes peut-être ou cette milice d’extrême droite pro-gouvernement rebelle, composée sans doute d’enfants de chœur, et décorant les murs de leur poste de commandement des croix gammées de sinistre mémoire.

Que sont allés faire exactement ces ministres des Affaires étrangères européens dans le chaudron de Kiev ? Ignoraient-ils à ce point “L’Histoire de la Russie et de son empire” (3) pour se mêler aussi imprudemment d’un problème russo-polono-ukrainien qui remonte à plusieurs siècles et n’a jamais été tout à fait résolu ?

Quand J. Kerry prétend que la Russie modifie “l’architecture de la sécurité en Europe”, croit-il vraiment ce qu’il dit ? Quel pays de l’Otan ou de l’UE a été ou est menacé par Vladimir Poutine ? N’est-ce pas plutôt John Kerry qui, en affirmant que “chaque parcelle du territoire de l’Otan sera défendue” , entend sans doute redonner un peu de souffle à l’Alliance et… inciter les Européens à dépenser plus pour leur sécurité ! En déployant quelques avions et un peu d’infanterie dans les pays Otan de l’Est, ou quelques navires dans les eaux internationales, l’Otan se livre à de la gesticulation opérationnelle. Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères disait non sans humour : “Avec la Crimée, l’Otan a retrouvé un ennemi, la Russie.”

Quand Barack Obama, bien ennuyé peut-être, préconise des sanctions de plus en plus sévères contre la Russie – mais dont les Européens se méfient car ils seront les seuls à en subir les dommages collatéraux – n’est-il pas en contradiction avec ses récentes déclarations où il affirme que “les différends doivent être résolus pacifiquement et non par l’intimidation ou la force” ? S’il était logique avec lui-même, il aurait déjà dû provoquer une rencontre au sommet avec Vladimir Poutine; car, face au chaos qui s’installe en Ukraine, avec une Europe inaudible politiquement et qui laisse l’initiative aux Américains (comme en ex-Yougoslavie, jadis), la crise ukrainienne sera difficile à régler “pacifiquement”. Et ce, d’autant plus, que Vladimir Poutine joue sur son terrain, dans “sa” zone d’intérêt stratégique, et applique la politique étrangère constante de tous “les tsars” ou empereurs russes (Staline et successeurs y compris !) depuis des siècles.

Bref, l’Ukraine nouvelle est mal partie et les Européens feraient bien d’examiner leurs propres responsabilités dans ce mauvais départ. Accuser Vladimir Poutine de tous les maux est un peu trop facile ! [...]

Francis Briquemont

(1) Jacques Gernet, “Le monde chinois”. Ed. A. Colin 1999. (2) “Les erreurs de l’UE”. “La Libre” du 9 avril. (3) Titre d’un livre de l’historien Michel Heller. Ed. Plon 1997.

Source : LaLibre.be

22 aout 2014, Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse

Qui est prêt à aller mourir pour l’Ukraine, un pays miné par la corruption ? Personne. Sans stratégie et portés par l’émotion, les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse.
La guerre est toujours la conséquence d’un manque de dialogue, de tolérance, d’intelligence et de créativité.” Cette sage réflexion, émise par Elio Di Rupo à l’occasion des commémorations organisées pour le centenaire du début de la guerre 1914-1918, me paraît plus que jamais d’actualité au moment où certains reparlent de guerre froide ou de paix glaciale, en Europe, à propos de la crise ukrainienne. Une crise qui aurait pu être évitée si les principaux responsables politiques européens avaient aussi fait preuve d’un peu de bon sens stratégique.

Le 9 avril dernier, on soulignait ici les erreurs manifestes commises par l’UE dans la gestion de la crise ukrainienne (1). Plutôt que répéter à satiété “c’est la faute à Poutine” comme on a dit jadis “c’est la faute à Voltaire”, les dirigeants européens devraient admettre que leurs réactions lors de la révolte de Kiev ont illustré, une fois de plus, l’absence totale d’une stratégie cohérente au sein de l’UE, aggravée encore par l’ignorance des “réalités” et de l’histoire de cette région.

En Ukraine, l’instabilité politique est grande, la situation économique catastrophique, le pays miné par la corruption (un “cancer”, dixit le vice-président américain Joe Biden), et bien plus grave encore, des soldats ukrainiens se battent, sur leur territoire, contre une partie de la population. Conséquence de ces combats, des dizaines de milliers d’Ukrainiens de l’Est se sont réfugiés à l’ouest du pays et, plus nombreux encore, les russophones ont fui en Russie ; des réfugiés dont on parle peu dans les médias d’ailleurs.

Comme personne en Europe ou aux Etats-Unis n’est prêt à aller mourir pour Kiev, même en cas d’agression russe – très peu probable – les Occidentaux, plutôt qu’essayer de trouver une solution acceptable pour tous au problème, se sont évertués à imaginer une panoplie de sanctions plus ou moins crédibles contre la Russie, le nouveau Satan. L’émotion en Occident, suscitée par le tragique accident de l’avion de la Malaysia Airlines a alors provoqué une prise de sanctions plus sévères qui ont entraîné une riposte de Moscou sous forme de “contre-sanctions” dont seuls les Etats de l’UE – signalons-le quand même – subiront les effets. Nous verrons bientôt si l’UE ne s’est pas tiré une balle dans le pied.

On en est là. Nombreux sont ceux qui doutent du bien-fondé et plus encore, de l’efficacité réelle de cette stratégie mais le problème maintenant est de sortir d’une crise qui menace la stabilité sur le continent européen.

Si, début de cette année, les dirigeants européens, avant de réagir en ordre dispersé aux actions des révolutionnaires et de se précipiter inconsidérément dans le chaudron de Kiev, avaient froidement analysé la situation sur le terrain, ils auraient conclu que : 1° si cette révolution était très pro-Europe, elle était antirusse à un point tel que, même si l’éviction du corrompu Ianoukovitch était compréhensible, il était difficile d’imaginer que la Russie regarderait les événements sans réagir et sans donner “son” avis sur la question, car l’Ukraine n’est pas située n’importe où sur l’échiquier européen ; 2° que les révoltés de Kiev se faisaient peut-être beaucoup d’illusions sur la signification réelle d’un pacte d’association avec l’UE.

Les dirigeants européens auraient pu se rappeler aussi que, depuis des siècles, et quel que soit le régime politique des pays concernés, les relations entre la Grande Russie (Moscou), la Petite Russie (Kiev), la Russie Blanche (Minsk) et la très instable Pologne n’ont jamais été “simples”.

Et si, sur base de ces conclusions, le duo politique de l’UE Herman Van Rompuy et Catherine Ashton, dûment mandaté par un sommet européen, avait d’emblée rencontré, d’une part Vladimir Poutine pour analyser la situation et expliquer ce que pouvait être l’appui de l’UE au développement de l’Ukraine, et d’autre part les révolutionnaires de Kiev pour leur rappeler que leur pays était un Etat bicommunautaire et insister sur les conditions d’une bonne coopération avec l’UE, nous aurions peut-être assisté à un autre scénario, plus conforme en tout cas à la vision d’Elio Di Rupo concernant la résolution des tensions internationales.

Au lieu de cela, le fanatisme antirusse des dirigeants de Kiev a offert la Crimée sur un plateau d’argent à Vladimir Poutine et l’attitude des dirigeants occidentaux vis-à-vis de celui-ci – snobé à Sotchi, éjecté du G7/G8, rejeté par l’Otan, sanctionné et accusé des pires intentions vis-à-vis de l’Ukraine et même de l’Otan – a abouti à la situation d’aujourd’hui.

Je ne sais de quoi sera fait demain. L’optimiste pense qu’il serait peut-être plus intelligent d’aller vers une désescalade et de demander à quelques sages “créatifs” de “déminer” le terrain. Le pessimiste se demandera peut-être si certains ne souhaitent pas en revenir au temps de la guerre froide, d’une nouvelle confrontation Est-Ouest, et pourquoi pas, tant qu’on y est, à un nouveau rideau de fer à l’est des pays baltes et de la Pologne. Quand je pense qu’aujourd’hui, la désignation des remplaçants de Herman Van Rompuy ou de Catherine Ashton à la Commission européenne devrait pour certains dépendre de leur “attitude” plus ou moins ferme vis-à-vis de Moscou, c’est inquiétant pour la paix et la stabilité en Europe […].

En fait, plus on s’éloigne de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus les nationalismes ou régionalismes reprennent vigueur (voir crise ukrainienne), alimentés parfois par des idéologies qui rappellent le fascisme voire le nazisme de sinistre mémoire. L’égoïsme sacré des Etats “souverains” et des… individus d’ailleurs, l’emportent de plus en plus sur l’esprit de solidarité. L’UE peut-elle encore à l’avenir être autre chose qu’un rassemblement de petits pays gouvernés par des dirigeants médiocres et peuplés de citoyens repliés sur eux-mêmes ?

J’entends déjà les soi-disant “réalistes” (genre David Cameron et beaucoup d’autres), pour lesquels l’expression “Europe intégrée” est inadéquate si pas “un gros mot”, se révolter contre cet européisme utopique et inacceptable. Et pourtant, que ces défenseurs acharnés de la souveraineté nationale se demandent combien d’Etats de l’UE feront encore partie du G7 ou G8 (voire du G20) dans dix ou quinze ans ? La réponse est simple : AUCUN, (sauf peut-être l’Allemagne). Souhaitons quand même que les futurs grands formats politiques européens soient de véritables européistes et que les états d’âme de David Cameron et de quelques autres ne soient un souci pour personne.

Mais, plus sérieusement, les Occidentaux ne devraient-ils pas faire le bilan de leur stratégie depuis le début de ce siècle, jalonné par l’Afghanistan, l’Irak, l’Afrique, la Libye, l’éternel conflit israélo-palestinien et tout cela pour quelques piètres résultats ? Priorité des priorités, ne devraient-ils pas se consacrer à la préparation de la conférence sur l’avenir de la planète qui se déroulera l’an prochain à Paris ? L’enjeu est tel pour l’avenir des Terriens et de “leur” maison que la récupération de la Crimée par la Russie apparaîtra demain comme un épisode anecdotique de la géopolitique mondiale.

Francis Briquemont

(1) “La Libre” du 9 avril, “Crimée : les erreurs de l’UE”.

Source : LaLibre.be

26 réponses à Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse, par Francis Briquemont

A consulter en cliquant sur le lien. merci. http://www.les-crises.fr/les-dirigeants-europeens-basculent-dans-le-fanatisme-antirusse/

  Francis Briquemont, le général belge qui commanda la FORPRONU en Bosnie en 1993-1994

Francis Briquemont, le général belge qui commanda la FORPRONU en Bosnie en 1993-1994

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