Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Plan de paix syrien : les États-Unis enragent à cause de l’humiliation infligée par la Russie

Publié le par Felli Bernard

Alexander Mercouris
Alexander Mercouris

Plan de paix syrien : les États-Unis enragent à cause de l’humiliation infligée par la Russie

Des commentaires publics confirment des rapports faisant état de disputes et de récriminations furieuses entre responsables étasuniens sur la manière dont la Russie a dominé les États-Unis en Syrie.

Par Alexander Mercouris – Le 19 février 2016 – Source Russia Insider

Un article très bien renseigné, récemment paru dans The Wall Street Journal (reproduit ci-dessous), montre l’ampleur du désarroi politique régnant à Washington suite à l’accord de cessation des hostilités américano-russe. Il semble qu’un grave conflit ait eu lieu.

Les chefs de l’armée américaine et de la CIA sont à l’évidence furieux de la façon dont ils pensent que les États-Unis ont été humiliés, et ils ont fait part de leurs sentiments dans une série de réunions exaspérées à la Maison Blanche.

Bien qu’ils rationalisent leur colère en disant qu’on ne peut pas faire confiance à la Russie et en parlant de la manière dont les alliés des États-Unis dans la région, comme les Turcs et les Saoudiens, se sentent trahis, il s’agit bien d’une humiliation.

Ces récriminations sont apparues au grand jour, comme l’ont montré les récents commentaires colériques de Mark Toner, le porte-parole adjoint du Département d’État, qui, dans un langage exceptionnellement cru et non diplomatique, a sommé la Russie d’«agir ou se taire».

Ces commentaires ont provoqué une réplique cinglante de la part de Maria Zakharova, la formidable porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, tandis qu’Alexey Pouchkov, le président de la Commission des affaires étrangères de la Douma d’État, a remué le couteau dans la plaie en tweetant :

«Un porte-parole adjoint du Département d’État américain a craqué – les nerfs à vif. Aux États-Unis, des quantités de gens considèrent le cessez-le-feu en Syrie comme une défaite : les articles sont indignés et les néoconservateurs sont choqués.»

La difficulté à laquelle les faucons étasuniens se confrontent est que malgré tous leurs discours courageux sur un Plan B, ils n’ont pas d’alternative réaliste à offrir.

The Wall Street Journal rapporte que des responsables étasuniens disent que «ni [le Secrétaire à la Défense Ash] Carter ni le général Dunford n’ont formellement soumis de recommandations à M. Obama» et que les suggestions mentionnées par l’article – renforcer l’approvisionnement en armes des rebelles, leur fournir des renseignements sur le champ de bataille ou imposer de nouvelles sanctions à la Russie – ne correspondent guère à des mesures pratiques que Obama peut appliquer.

Avec une bonne partie de l’Europe qui fulmine contre les sanctions déjà en place, toute idée de les augmenter sur la question de la Syrie (et sur toutes choses) – l’article du Wall Street Journal dit que les responsables étasunien l’admettent en privé – est mort-née.

Quant aux fournitures d’armes aux rebelles, l’aviation russe en Syrie vole trop haut pour être atteinte par le type de missile sol-air portable (MANPADS) auquel se réfère l’article, tandis que la fourniture de missiles sol-air de moyenne ou longue portée, qui pourraient effectivement causer des problèmes à l’aviation russe, serait une escalade extrêmement controversée et – pour l’opinion publique aux États-Unis et en Europe – presque certainement une escalade de trop [tt aussi un trop gros risque pour Israël, NdT].

C’est tout à fait indépendant du fait que fournir des armes comme des MANPADS ou des missiles anti-tank Javelin aux rebelles garantirait que ceux-ci tombent dans les mains de terroristes djihadistes et d’État islamique – quelque chose avec quoi l’opinion publique occidentale ne serait jamais d’accord si c’était découvert – sans nécessairement, et l’article dit de nouveau que les responsables étasuniens l’admettent – modifier la situation militaire en faveur des rebelles.

Quant à la suggestion que les États-Unis fournissent des renseignements aux rebelles, cela conduirait presque certainement à ce que les Russes renoncent à leur accord de partage d’informations avec l’armée US, puisque les Russes ne voudraient pas risquer que les renseignements qu’ils ont fournis aux Américains soit partagés par ces derniers avec les rebelles.

Puisque les États-Unis se reposent sur cet accord pour coordonner leurs opérations en Syrie avec les Russes, à moins qu’ils ne soient prêts à risquer un affrontement avec les forces russes en Syrie, de plus en plus puissantes – risquant ainsi la Troisième Guerre mondiale – ils devraient cesser leurs opérations en Syrie s’ils veulent éviter l’affrontement avec les Russes.

Puisque ce n’est certainement pas ce que veulent les États-Unis, l’idée de partager les renseignements avec les rebelles de manière utile est aussi tout simplement mort-née.

Comme le savent sans aucun doute les faucons américains, la seule chose susceptible de vraiment changer la situation en Syrie en faveur des rebelles serait une intervention directe de l’Otan en leur nom, ce qui, pour être efficace, devrait impliquer les États-Unis eux-mêmes. Mais comme cela serait un nouveau risque de provoquer une Troisième Guerre mondiale sur une question où la plus grande partie de l’opinion publique soutient la Russie, c’est aussi un argument nul.

La seule proposition qui a été lancée comme un possible Plan B, la partition de la Syrie selon des lignes sectaires – dont nous entendrons sans doute beaucoup parler ces prochaines semaines – est en réalité elle aussi totalement impraticable.

Non seulement les sondages d’opinion montrent qu’une majorité écrasante de Syriens – y compris les Syriens sunnites – s’y oppose, mais dans le cas où le gouvernement réussirait à consolider son contrôle sur la région côtière occidentale du pays – où se trouvent toutes les grandes villes syriennes – le seul territoire restant en Syrie pour un État sunnite serait le désert.

Bien que, territorialement parlant, ce soit une très grande surface, elle est peu peuplée, elle n’est pas autosuffisante et n’a pas d’accès à la mer. Un État sunnite sectaire établi sur ce territoire serait militairement indéfendable et tout à fait non viable économiquement.

Le gouvernement syrien serait déterminé à regagner le contrôle sur ce territoire une fois qu’il se serait totalement rétabli et renforcé – et il aurait le droit international de son côté. Avec des ressources beaucoup plus grandes à sa disposition, et avec le soutien de l’Iran et de la Syrie, le gouvernement syrien n’aurait aucune difficulté à reconquérir ce territoire, à moins que les États-Unis et l’Otan ne soient prêts à envoyer des troupes au sol pour le défendre.

L’idée d’implanter une garnison permanente des États-Unis ou de l’Otan en Syrie de l’ouest pour défendre ce qui serait un micro pseudo-État djihadiste militant, économiquement non viable – en fait, l’État islamique sous un nouveau nom – est un fantasme, comme l’est toute idée que les États-Unis et l’Occident seraient prêts à investir les sommes immenses que cela nécessiterait pour le soutenir.

Le public étasunien et européen n’accepterait jamais une telle chose, en particulier parce qu’elle serait fortement rejetée par l’opinion publique arabe, qui serait horrifiée à la vue des grandes puissances occidentales découpant une fois de plus les pays arabes comme elles l’ont fait pendant la période coloniale et lors de la création d’Israël.

Le fait que les principales puissances régionales, l’Iran et l’Irak, s’opposeraient aussi vigoureusement à un tel plan de partition, tout comme les grandes puissances non-occidentales que sont la Chine, l’Inde et la Russie, et qu’un tel plan échouerait certainement à obtenir le soutien de la communauté internationale ou des Nations Unies. Tout cela règle la question.

Bien que ce plan trouve sans doute ses partisans dans les médias occidentaux, il n’appartient en réalité pas au monde de la politique concrète. La réalité, c’est que les États-Unis n’ont pas de véritable choix sauf travailler avec les Russes en Syrie, et c’est – sous les hurlements des tenants de la ligne dure – et à contrecœur, ce qu’ils font.

Il y a cependant deux autres points à souligner à propos de l’article du Wall Street Journal. Le premier est mineur, mais devient, avec l’élection présidentielle américaine à venir, d’un intérêt historique capital.

C’est qu’Obama est à terre.

Bien que l’article ne le dise pas comme ça, il est clair, d’après son contenu, qu’il n’était pas physiquement présent lors des rencontres à la Maison Blanche où les faucons ont fait connaître leur point de vue.

Au lieu d’expliquer et de défendre sa politique, en personne, auprès des faucons, Obama a choisi de se cacher derrière d’autres – dans ce cas son secrétaire d’État John Kerry, qui a été chargé de porter le chapeau pour son patron. Là où Harry Truman disait glorieusement qu’il était le responsable ultime, Obama fait en sorte que ce soit quelqu’un d’autre.

Le second point est plus important, et il concerne le futur.

C’est que la colère que ressentent les tenants de la ligne dure ne promet rien de bon, elle n’est absolument pas une raison de se réjouir, et certainement pas de jubiler. Au contraire, elle est une cause d’appréhension et de préoccupation quant à l’avenir.

Loin d’accepter leur défaite, sur la base de leur expérience passée, les faucons étudieront maintenant des manières d’y arriver, malgré la Russie. Le fait qu’ils ne puissent pas le faire en Syrie ne les retiendra pas, pas plus que l’échec au Vietnam dans les années 1970 n’a retenu la génération précédente des faucons étasuniens.

Ce qui s’est passé alors, c’est que les faucons ont vengé la défaite étasunienne au Vietnam en mettant le feu à l’Afghanistan – avec des conséquences catastrophiques pour le monde entier, y compris les États-Unis. Que l’Afghanistan ait tourné au désastre détournera toutefois à peine les faucons d’aujourd’hui d’agir de la même manière. S’il y a une constante dans la politique étrangère des États-Unis, c’est que lorsqu’elle tourne au désastre, ce sont toujours de faux enseignements qui sont tirés.

Loin d’être un facteur d’amélioration des relations entre les États-Unis et la Russie, le fait que les États-Unis se sentent humiliés en Syrie va rendre ces relations entre les deux pays encore pires qu’elles ne le sont déjà, et va engendrer davantage de problèmes pour l’avenir.

Alexander Mercouris

Commenter cet article